Le Panthéon et la rue Soufflot.

Reconnaissables à leur palette de couleurs caractéristique, les photochromes (à ne pas confondre avec autochromes) sont des cartes éditées à des dizaines de milliers d’exemplaires entre la fin du XIXe siècle et les années 1920. Cette petite sélection de photochromes consacrés à la ville de Paris, issus de la collection de la Library of Congress, est l’occasion de revenir sur cette technique unique d’impression.

La reproduction des couleurs

Le photochrome n’est pas de la photographie couleur. Il s’agit en réalité d’une technique d’impression qui relève de la chromolithographie, c’est-à-dire de l’impression en couleurs à l’aide de plaques de pierres encrées.

Les procédés photographiques couleur existaient dès la fin des années 1860, mais ils n’étaient pas exploitables commercialement. Ils étaient le fait de photographes chevronnés et passionnés, tels que Charles Cros ou Louis Ducos du Hauron, inventeurs de la photographie en trichromie (1868). Il fallut attendre 1903 et la commercialisation du procédé inventé par les frères Lumière, l’autochrome, pour que la prise de vue en couleur puisse être à la portée du grand public.

Le pont Saint-Michel et la cathédrale Notre-Dame.

Le photochrome est inventé dans les années 1880 par Hans Jacob Schmid, un employé de l’imprimerie du Suisse Orell Gessner Füssli. Ce dernier dépose un brevet en 1888 et crée Photochrom Zurich, une filiale tout spécialement consacrée à la création et à la diffusion de cartes postales utilisant ce procédé. Présentée à l’Exposition universelle de Paris en 1900, l’invention obtient le premier prix.

Le succès est au rendez-vous, et l’imprimerie édite près de 30 000 vues colorées jusqu’au début des années 1910. Elle met en place des succursales à Londres et à Berlin et cède les droits d’exploitation exclusifs du procédé pour l’Amérique du Nord à la Detroit Photographic Company, créée par l’éditeur William A. Livingstone et le photographe Edwin H. Husher.

L’entreprise américaine, qui porte le nom de Detroit Publishing Company à partir de 1905, augmentera considérablement le fonds de photochromes par l’utilisation des milliers de plaques de verres que le photographe américain William Henry Jackson ramène de son tour du monde et de la trentaine d’années qu’il a passées à parcourir le territoire américain. Jackson, séduit par la technique du photochrome, devient l’un des associés de l’entreprise et contribue à son développement jusqu’à sa faillite en 1924.

Vue de l’île de la Cité, de la Seine et de l’Hôtel de Ville.

Des souvenirs de voyage en couleurs

Le palette de couleurs qui caractérisent les photochromes leur donne une aura singulière. Elles en assurent le succès à une époque où le voyage se démocratise et où le voyageur cherche à rapporter de son périple des souvenirs vibrants.

Les vues d’Orient et d’Asie montrent des lieux vierges de l’empreinte occidentale. De ces images se dégage un parfum de rêve. Les plus « exotiques » dépeignent un Orient idéalisé ou une Inde originelle et, par certains aspects, elles évoquent les tableaux des peintres orientalistes du XIXe siècle, tels que Delacroix, Ingres, Gérôme ou Chassériau.

La place Clichy.

Un usage (presque) libre des couleurs

Ce qui donne son caractère si unique au photochrome, sa poésie, ce sont notamment la palette chromatique utilisée par les imprimeurs, les couleurs choisies et les éventuelles retouches apportées au cliché (qui parfois relèvent carrément du photomontage).

La plupart du temps, le technicien chargé de coloriser les vues, que l’on pourrait aussi bien qualifier d’imprimeur-artiste, n’avait pas vu lui-même les lieux représentés sur les photographies. Si l’on sait que le feuillage d’un arbre est vert, il est malaisé de savoir quelles nuances de vert présentait tel ou tel arbre, d’autant qu’en fonction des saisons les feuilles changent radicalement de couleur. Le choix des couleurs relève donc dans une certaine mesure du hasard et du bon sens.

Cette approximation chromatique n’est en soi pas gênante dans le cas des arbres mais que dire du choix des couleurs de tout le reste ? Si le coloriste tentait de se rapprocher de la vérité au maximum en se rendant sur place quand il le pouvait, ou en se documentant, il subsistait toutefois une large marge de liberté artistique permettant d’octroyer des couleurs aux choses, pour le plus grand plaisir de notre regard sensible : qu’importe si les flots de la Seine n’étaient pas de ce bleu presque turquoise ; c’est beau !

Le photochrome, une variante de la chromolithographie

La chromolithographie est la technique utilisée pour l’impression des affiches et des pages en couleurs des livres et magazines du milieu du XIXe siècle jusqu’à l’apparition de l’impression offset au début des années 1970.

Le procédé photochrome est une variante de la chromolithographie qui connut un très grand succès de la fin du XIXe siècle aux années 1920. Il consistait à transférer l’image d’un négatif photo sur une plaque de pierre bitumée. De 6 à 15 plaques teintées étaient utilisées pour la création d’une image. Chacune d’entre elles était retouchée de manière à optimiser l’application des différentes plages de couleurs. Une des différences avec les autres techniques chromolithographiques se situait justement dans l’application des teintes. Là où les procédés traditionnels appliquaient des plages de couleurs à l’aide d’une multitude de points donnant l’impression d’une continuité dans les teintes, la photochromie appliquait de petites touches de couleurs de valeurs similaires. Cela donnait une grande intensité aux couleurs, mais provoquait également un certain effet d’aplatissement de l’espace.

Le pont et la place de la Concorde.

Dater et attribuer

La datation des photochromes n’est pas aisée. Si on peut situer plus ou moins précisément la création d’un photochrome à l’aide des informations textuelles imprimées (nom de l’éditeur, numéro de série, date), il est très difficile, sauf dans le cas d’événements particuliers comme les Expositions universelles, de connaître la date de réalisation du cliché original dont le négatif a été utilisé. On peut toutefois, si le nom du photographe et le détail de ses activités son connus, déterminer une fenêtre chronologique.

L’attribution des prises de vues originales est également malaisée : le nom des photographes n’est jamais indiqué sur les photochromes. Cependant, nombre de vues d’Orient sont attribuables au photographe français Félix Bonfils, qui vécut au Liban de 1867 à 1876, ou au britannique Francis Frith. D’autres noms sont signalés par Marc Walter (collectionneur, auteur et spécialiste des photochromes) : l’Italien Carlo Naya, le Français Jules Richard, l’Autrichien Emil Terschak, l’Allemand Franz Schensky, l’Américain William Henry Jackson, etc.

L’église Saint-Augustin.

Paris autour de 1900

Ces vues nous plongent dans un Paris semblable à celui que l’on connaît : Hausmann avait déjà recomposé la ville et, mis à part quelques monuments disparus, tel le Trocadéro, la plupart des bâtiments sont encore là aujourd’hui.

Néanmoins, ce Paris est aussi radicalement différent de celui que l’on arpente aujourd’hui. Mille choses diffèrent et pour cause !, plus de cent ans nous séparent. Le sol était pour l’essentiel pavé de pierres sur lesquelles du sable était versé afin d’atténuer le bruit des sabots de chevaux et le cerclage de fer des roues. Certaines rues étaient cependant bitumées (les premiers essais de revêtement asphaltique remontent à 1854). La force de traction principale était encore celle du cheval (ou de l’homme !), etc.

On prend plaisir à laisser notre regard se promener dans l’image, l’œil curieux déchiffrant les affiches publicitaires, l’esprit s’aventurant à deviner la raison de la présence de tel ou tel personnage. Chacune de ces vues est un univers en soi.

À la suite de la vidéo (qui présente 40 photochromes parisiens) et de la série d’images ci-dessous, vous trouverez quelques références de beaux-livres sur les photochromes. Bon voyage dans le Paris de 1900 !

Le boulevard de la Madeleine.
La rue Royale et l’église de la Madeleine.
La place Vendôme.
Le pont au Change et la place du Châtelet.
La place de la République.
La place de la Bastille.
L’eglise Saint-Germain-l’Auxerrois.
L’Opéra Garnier.
La tour Eiffel et, au loin, le palais du Trocadéro, aujourd’hui disparu.
Le Grand Palais.
L’avenue des Champs-Élysées.
L’avenue des Champs-Élysées.
Le jardin des Tuileries et le jardin du Louvre.
Le jardin des Tuileries.
Toutes les images de l’article sont issues de la collection de photochromes de la Libary of Congress à Washington (USA) et sont dans le domaine public.

 



Compléments

 

En ligne :
• Collection de la Library of Congress

À lire :
• Catherine Donzel, En Inde, éditions Jean-Pierre de Monza, 2007.
• Catherine Donzel, À Venise. La magie du photochrome, éditions Jean-Pierre de Monza, 2007.
• Catherine Donzel, En Palestine. La magie du photochrome, éditions Jean-Pierre de Monza, 2007.
• Catherine Donzel, En Égypte. La magie du photochrome, éditions Jean-Pierre de Monza, 2007.
• Agnès Couzy, Alpes, éditions Jean-Pierre de Monza, 2007.
• Marc Walter, Sabine Arqué, Autrefois la France. Photochromes 1889-1904, Citadelles & Mazenod, 2009.
• Marc Walter, Sabine Arqué, An american Odyssey, Taschen, 2014.
• Marc Walter, Sabine Arqué, Karin Lelonek, L’Allemagne vers 1900. Portrait en couleur, Taschen, 2015.
• Marc Walter, Sabine Arqué, Le Grand Tour. L’âge d’or du voyage, Taschen, 2017.
• Marc Walter, Sabine Arqué, Giovanni Fanelli, L’Italie vers 1900, Taschen, 2018.

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