RT, réseau de chaînes TV russes consacrées à l’actualité, vient de lancer le projet #Romanovs100. Pendant cent jours, du 8 avril au 17 juillet 2018 (date anniversaire de l’exécution de la famille impériale russe), seront diffusées sur quatre réseaux sociaux une sélection de photographies issues des collections des Archives de l’État russe, toutes prises par le tsar Nicolas II ou son entourage et illustrant leur vie au quotidien.

Une famille férue de photographie

Au début du XXe siècle, la pratique amateur photographique change d’échelle, grâce à l’innovation technique (apparition des supports photosensibles souples notamment) et à la fabrication industrielle de nouveaux modèles d’appareils photo, tels le premier Kodak et le Kodak Brownie de la George Eastman Company, dont la famille Romanov possédait plusieurs exemplaires.

Le tsar Nicolas II était un grand amateur de photographie, le fait est bien connu. Il avait communiqué sa passion à toute sa famille. La famille Romanov avait installé un atelier photographique dans sa résidence impériale à Tsarskoïe Selo, dans les environs de Saint-Pétersbourg. L’une des occupations favorites des filles du tsar semblait être la réalisation d’albums photos. Maria et Anastasie les décoraient et rehaussaient parfois les photos à la peinture.

Les quatre filles du tsar Nicolas II : les grandes-duchesses Maria, Olga, Anastasia et Tatiana en août 1911. #Romanovs100

Le fait qu’une famille royale s’enthousiasme pour la photographie et en fasse un passe-temps n’est pas en soi exceptionnel puisque ces nouveaux appareils étaient à la portée du grand public (en tout cas américain et ouest-européen). On ne saurait faire passer les Romanov pour des pionniers de la photographie comme on peut le lire ça et là sur Internet. Il est toutefois à noter que le tsar possédait un appareil panoramique exclusivement fabriqué pour lui par Kodak et qu’il s’intéressait aux évolutions du médium.

La quantité de clichés (plus de 4 000) produite en un peu moins de vingt ans et la capacité de témoignage offerte par cet ensemble qui documente le quotidien d’une famille royale sont exceptionnelles. On ne peut donc que se réjouir de la mise en ligne (certes au compte-gouttes et exclusivement sur les réseaux sociaux) de ces images, dont les originaux sont conservés aux Archives de l’État russe.

Le tsar Nicolas II, été 1911. #Romanovs100

Un « photo-puzzle » à grande échelle

Différents aspects de ce fonds documentaire seront montrés, avec une mise en perspective, une narration et un ton différents selon les réseaux sociaux, dans le but de dépeindre les dernières décennies de la Russie impériale à travers l’objectif des appareils photo de la famille Romanov.

De gauche à droite : le grand-duc Alexandre Mikhaïlovitch Romanov, le prince Nicolas de Grèce, le tsar Nicolas II, la grand-duchesse Olga et une femme non identifiée. Danemark, 1899. #Romanov100

Sur Youtube sont postées des mini-vidéos présentant des animations de photographies illustrant des aspects historiques de l’époque à laquelle vécut la famille impériale. La mise en contexte de clichés peu connus sera l’occasion d’en apprendre davantage sur la vie quotidienne de la famille, comme l’explique le site du projet. Les images les plus « artistiques », issues des albums de famille, seront diffusées sur Instagram. Sur Facebook, on pourra découvrir des photos panoramiques à 180 degrés ainsi que des histoires concernant les membres de la famille impériale et leurs proches.

Même le chien du tsarévitch Alexis a un compte Instagram.

Enfin, un compte Twitter relayera des comptes individuels qui racontent à la première personne les histoires derrière les photographies. Certains aspects du programme peuvent sembler incongrus (même le chien du tsarévitch Alexis a un compte Instagram), voire mettre le lecteur mal à l’aise (appels à l’affect sur Twitter par exemple).

Le tsarévitch Alexis et son chien. #Romanovs100

Une démarche inspirée par une première expérience originale

Le projet peut être vu comme une extension d’une première initiative intitulée #2017LIVE, sous-titrée « Et si Twitter avait existé il y a 100 ans ? », et « dédiée à la mémoire des victimes des révolutions de 1917, de la Première Guerre mondiale et de la guerre civile russe ». L’équipe derrière ce programme de reconstitution historique numérique anime plusieurs comptes Twitter depuis fin 2016. Elle dit expérimenter, à travers cette opération, une nouvelle manière d’enseigner l’histoire à l’ère des réseaux sociaux et de nouvelles formes de storytelling éducatif.

On peut ainsi suivre le compte Twitter du tsar Nicolas II, de l’impératrice Alexandra, des filles du couple impérial (compte géré par l’historienne britannique Helen Rappaport), et même celui du médecin Eugène Botkin qui les accompagna dans leur captivité (et n’y survécut pas).

On peut aussi s’abonner, entre autres, au compte de Lénine et de Trotsky. Le compte principal du projet, The Revolutionary Times, présente quant à lui le déroulement de la révolution de 1917 au jour le jour et retwitte tout cet univers de personnages historiques. On peut aussi consulter avec profit le site du projet qui regroupe une chronologie des événements et des documents iconographiques et vidéo.

#2017LIVE a rencontré un grand succès et a été primé à plusieurs reprises (il a notamment remporté le Webby Award 2017 de la meilleure utilisation des réseaux sociaux). Le site Internet de ce projet original précise que tous les tweets sont rédigés à partir de matériel authentique (mémoires, journaux, lettres, presse de l’époque), mais sans que les sources soient mentionnées (le pourrait-on avec une limite de 280 caractères ?). On est forcé de faire confiance aux rédacteurs de l’équipe, laquelle est soutenue, pour le côté storytelling, par le romancier Paulo Coelho (qui gère le compte Twitter de Mata Hari) et, pour la caution scientifique, par l’historienne Helen Rappaport.

L’expérience proposée est séduisante : « revivre » au jour le jour la révolution de 1917 en faisant parler les personnages importants qui l’ont vécue. Néanmoins les propos, qui sont issus de documents non référencés et formatés pour les réseaux sociaux, adaptés au ton de notre époque, peuvent parfois sembler étranges.

 

La fin des Romanov sur Twitter

Si l’on s’en tient à la chronologie, il y a 100 ans la famille impériale était détenue à Tobolsk (Sibérie occidentale) sur ordre du gouvernement provisoire Kerenski. Le 30 avril 1918, elle fut transférée à Ekaterinbourg par les Bolcheviks, des mains desquels il est vraisemblable qu’elle fut massacrée. Nous allons « revivre » la fin des Romanov à travers les réseaux sociaux, et plus nous nous approcherons de la date fatidique, moins il y aura d’images, et plus la détention sera dure pour la famille royale, pour aboutir à une fin qu’on sait atroce.

Que twittera l’ex-impératrice la veille de sa mort ?

La réhabilitation historique de la famille Romanov, en cours depuis quelques années, peut-elle justifier des appels à l’affect via les réseaux sociaux ? Que twittera l’ex-impératrice la veille de sa mort ?

Plus généralement, la création de comptes Twitter de personnalités historiques, fussent-ils animés par des historiens, mérite qu’on prenne le temps de réfléchir à la pertinence de cette façon de raconter l’histoire – qui exclut toute mise en contexte – et des possibles dérives qu’elle peut générer.
Pour le projet #1917LIVE, une seule historienne gère un compte, mais par qui les autres sont-ils animés ? S’il y a d’autres consultants, ils ne sont pas mentionnés, tout comme les sources utilisées. On sent poindre l’argument d’autorité par glissement métonymique… En effet, l’historienne relit-elle et vérifie-t-elle les twits de ces dizaines de comptes avant publication ?

Les quelque 4 000 images de la famille Romanov sont en puissance un formidable témoignage historique. Mais les images proposées sur les réseaux sont petites, souvent sombres, manquent parfois de définition (particulièrement les panoramiques). Il est regrettable qu’elles soient diffusées uniquement via les réseaux sociaux et que la collection ne bénéficie pas d’un site Internet spécialement conçu pour elle, avec des notices documentées, d’un écrin numérique qui pourrait profiter autant aux chercheurs qu’au grand public.

 

 

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