L’exposition Le chic français. Images de femmes, 1900-1950, visible au musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône jusqu’au 20 mai, porte un regard rétrospectif sur l’histoire de la photographie de mode au début du XXe siècle en France à travers plus de 300 œuvres issues des collections du musée. Une superbe exposition.

Vue de la première partie de l’exposition. CC-BY-SA-ND L’œil sensible

Déployée dans deux grandes salles, l’exposition dévoile une foule de photographies et de magazines d’époque qui illustrent et mettent en perspective une histoire de la mode intimement liée à celle de l’évolution de la place des femmes dans la société et à celle de la photographie.

La femme, la photographie : émancipations

Avant les années 1910, le dessin occupe presque toute la place dans la presse consacrée à la mode. Les contraintes d’impression sont telles qu’elles ne favorisent pas l’émergence de la photographie dans la presse. La technique photographique n’offre pas non plus de grandes possibilités créatives : les photographes travaillent en studio, les modèles restent statiques, les poses se répètent sans grande originalité et la mise en pages des magazines reste peu inventive.

Studio Reutlinger, La Mode illustrée nº 25, 18 juin 1911. © Musée Nicéphore Niépce

L’apparition d’appareils photographiques plus légers et performants, tels que le Leica et le Rolleiflex, contribue au développement d’un photojournalisme de terrain et profite également aux photographes de mode. Les illustrations classiques (portraits et paysages, points de vue frontaux et horizontaux) laissent petit à petit la place à des photographies plus vivantes et expressives, directement liées à l’actualité. Des quotidiens tels que Paris-Soir ou Ce soir amorcent ces changements dès le début des années 1930 en donnant au lecteur le sentiment de vivre l’actualité presque en direct, avec les yeux du photographe. Les personnages ne posent plus devant la caméra mais se retrouvent au cœur de l’action.

Un des exemples les plus brillants de cette révolution de l’image dans la presse est l’hebdomadaire antifasciste et antinazi Vu, créé en 1928 par l’éditeur Lucien Vogel. Ce militant politique considère l’image comme un moyen d’action et publiera de nombreux photographes issus d’Europe de l’Est (Germaine Krull, Robert Capa, André Kertész…)

Vue de l’exposition. CC-BY-SA-ND L’œil sensible

Cette révolution de l’image a également lieu au cœur de la presse consacrée au vêtement et à la mode. Sous l’impulsion d’éditeurs audacieux et avec l’émergence d’un courant photographique novateur, une « Nouvelle Vision » s’impose. Des photographes comme Jean Moral, Maurice Tabard et André Steiner pratiquent une photographie résolument moderne et différente, qui présente des angles de vue spectaculaires et des cadrages audacieux (plongée, contre-plongée, plans rapprochés…). Les expérimentations formelles de ces avant-gardistes contribuent à diffuser l’image d’une féminité moderne, chic, dynamique et urbaine. Photographes et modèles quittent les studios et conquièrent les rues, principalement celles de Paris, contribuant à la reconnaissance de la ville comme capitale de la mode.

Jean Moral, Mode pour Harper’s Bazaar, modèles en Molyneux, 1938. Tirage au gélatino-bromure d’argent sur papier. © Brigitte Planté-Moral / Musée Nicéphore Niépce

Un beau florilège de photographies

Le musée Nicéphore Niépce nous présente ici une belle exposition qui nous livre un large panorama de la photographie de mode de la première moitié du XXe siècle. On admirera de beaux portraits signés Henri Manuel, des images pleines de vie de Germaine Krull, un beau portrait de Coco Chanel par Man Ray… Les photographes pictorialistes sont représentés par Paul de Singly et Charles Lhermitte (qu’on retrouvera probablement dans la prochaine exposition du musée, Visions d’artistes. Photographies pictorialistes 1890-1960, qui démarrera le 16 juin). Le regard du visiteur pourra aussi se porter sur de beaux tirages d’Edward Steichen, Pierre Boucher, André Steiner, Horst P. Horst, Jean Moral…

La presse illustrée occupe une place importante dans les collections du musée et cette exposition est l’occasion d’en valoriser une partie : de nombreuses couvertures de magazines, illustrant judicieusement le propos, parsèment l’exposition (L’Art Vivant, Comoedia illustré, Harper’s Bazaar, La Mode illustrée, Le Jardin des Modes, Vogue, Vu, Paris Match, Diversion, Paris Magazine…).

Nul besoin d’être féru de mode pour apprécier cette exposition ; être sensible à la beauté suffit. Les photographies de Jean Moral, dernières images de l’exposition, vous raviront par leur charme et les émotions presque palpables délivrées lors de ces prises de vues, qui témoignent d’une belle complicité entre le photographe et son modèle. Elles concluent avec enchantement cette belle exposition.

Vue de la deuxième partie de l’exposition. CC-BY-SA-ND L’œil sensible

Vue de la deuxième partie de l’exposition. CC-BY-SA-ND L’œil sensible

Compléments :

Le chic français. Images de femmes, 1900-1950, jusqu’au 20 mai au Musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône (71). Entrée libre.

Commissariat : Sylvain Besson (musée Nicéphore Niépce)
Scénographie : Sylvain Besson et Michel Lepetitdidier

www.museeniepce.com
www.open-museeniepce.com
www.archivesniepce.com

À lire
• Catalogue de l’exposition, Snoeck, 2017, 256 p.
• Jean Leplant, Émancipation de la photographie. 1920-1940, 2010, en ligne.
• Notice « Nouvelle Vision » du portail Arago.

À voir
• [DVD] Stan Neumann, Nouvelle Vision, la photographie expérimentale des années 1920, Arte / Camera Lucida / Centre Pompidou, 2012, 26 min.

Exposition
Si vous souhaitez poursuivre l’immersion dans cette époque qui vit l’émancipation de la photographie, on ne pourra que vous conseiller d’aller visiter l’exposition 1925-1935. Une décennie bouleversante. La photographie au service de la modernité, au musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard (jusqu’au 16 septembre 2018).

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